Les Rameaux : à la mort, à la vie ?

Le dimanche des rameaux et de la passion du Seigneur ouvre la Semaine Sainte. En Orient, et tout particulièrement dans la Ville Sainte, ce dimanche, au cours duquel l’Eglise célèbre solennellement l’entrée messianique du Christ à Jérusalem, est un jour de fête et de joie alors qu’en Occident, il se présente souvent comme un jour de prière pour les défunts, sans oublier le côté parfois superstitieux du rameau lui-même. De ce paradoxe entre ces deux axes que sont la joie et la mort, que célébrons-nous alors vraiment ce jour-là ?

 

En parcourant l’histoire de la fête des rameaux en Orient et en Occident au fil des siècles, nous constatons l’origine orientale de la procession des rameaux. Attestée dès le IVe siècle à Jérusalem, celle-ci s’est ensuite répandue dans une grande partie de l’Orient. Elle a rejoint par la suite l’Occident d’abord en Espagne vers le VIe siècle puis en Gaule au VIIe siècle avant d’atteindre de manière certaine Rome au Xe siècle. Dès lors, cette fête s’est développée, a perduré au long des siècles et demeure encore aujourd’hui, même si, dans sa forme, elle a connu des évolutions dont témoignent les différents livres liturgiques. Outre la pérennité de cette fête, l’analyse des sources révèle que la thématique dominante du dimanche des rameaux différait suivant l’endroit du monde où elle était célébrée. Ainsi, en Orient, l’accent était mis sur l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem, donc sur une connotation de victoire et de joie. Cette même dynamique de fête s’est retrouvée au début de l’implantation des rameaux en Occident. Seule Rome s’est révélée comme une exception, insistant sur la passion du Christ. Avec la romanisation de la liturgie, cet accent s’est peu à peu répandu et amplifié en Occident, sans pour autant faire disparaître la célébration des palmes, les deux se juxtaposant. Les titres des livres liturgiques occidentaux pour ce dimanche en sont des témoins privilégiés. Suivant les époques, ce dimanche a porté des noms divers rattachés davantage soit à la passion du Christ, soit aux palmes. Il faut attendre la réforme liturgique de 1955 pour voir les deux thèmes apparaître ensemble dans le titre, mais sans liaison réelle. C’est le missel actuel qui remédie à cet aspect en liant les deux. Malgré tout, il demeure une différence importante entre ce qui est écrit sur le papier et ce qui se vit concrètement dans les paroisses ce jour-là. Les fidèles des rameaux en Occident demeurent, qu’on le veuille ou non, marqués par tous ces siècles d’histoire et par cet accent de la passion et donc de la mort malgré le désir de l’Eglise de rappeler que le jour des Rameaux, « elle entre dans le mystère de son Seigneur crucifié, mis au tombeau et ressuscitant, qui par son entrée à Jérusalem a donné le présage de sa gloire »[1].

 

De son côté, l’ouverture de la fête des Rameaux et de la Passion du Seigneur, par son déploiement et à l’exception du Vendredi Saint et de la Veillée Pascale, se présente comme une spécificité par rapport à celle d’une messe ordinaire. Les différents éléments qui la constituent (antienne d’ouverture, allocution du prêtre, bénédiction des rameaux, lecture de l’évangile de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et procession) mettent particulièrement en lumière le mystère pascal, plus particulièrement dans deux de ses aspects que sont la mort et la résurrection du Seigneur, mais auxquels se rajoute la dimension eschatologique. Si les trois premiers éléments préparent d’une manière très belle et pédagogique la procession, celle-ci, malheureusement encore trop évincée aujourd’hui, sera la mise en œuvre symbolique du récit évangélique. L’ensemble de ces rites concourt ainsi à donner aux fidèles le sens de ce qu’ils célèbrent ce jour-là, à savoir l’entrée triomphale du Christ Roi, l’hommage rendu au Messie Crucifié-Ressuscité, celui-là même que la suite de l’eucharistie continuera à célébrer. Ainsi, toute cette ouverture[2], quand elle est mise en œuvre dans sa totalité, permet à la communauté réunie en ce dimanche de vivre de manière concrète et symbolique une triple dimension : la mémoire de l’événement vécu il y a deux mille ans à Jérusalem, son actualisation et son anticipation eschatologique.

 

Quant à elles, les lectures de ce dimanche (le Serviteur souffrant chez Isaïe, le psaume 21, l’hymne aux Philippiens et la Passion) sont empreintes de cohérence et d’harmonie entre elles. Se répondant les unes aux autres, elles invitent les fidèles à méditer, dans un même mouvement, les mystères de la passion, de la mort, de la résurrection et de la glorification du Christ et honorent ainsi ensemble les différentes facettes du mystère pascal. « Le mystère pascal n’est pas seulement une succession de tristesse et de joie, un passage de la mort à la vie. Il est fait de l’union inséparable de ces deux termes, dont l’un est le fondement de l’autre. La vie triomphe par la mort et dans la mort, la gloire de la résurrection ne supprime pas la croix, qui en est le chemin. »[3] Par ailleurs, ces lectures conduisent les chrétiens à entrer dans une attitude de louange et d’adoration. Enfin, en contemplant ce Crucifié-Ressuscité, elles les convient à imiter le Christ en faisant de leur vie un chemin pascal.

 

Enfin, les pièces euchologiques de cette fête (collecte, prière sur les offrandes, préface, prière postcommunion, bénédiction solennelle) offrent aux fidèles un véritable chemin de foi. Celui-ci passe, en intégrant l’incarnation, par la contemplation du mystère de la croix du Christ, de son abaissement et en même temps de son offrande au Père. Cependant, cette croix n’est pas présentée comme un échec mais est révélée comme l’œuvre du salut et comme l’instrument de réconciliation entre Dieu et les hommes. Ce parcours inclut également la contemplation d’un autre mystère qui, d’ailleurs, n’est jamais séparé du précédent : la résurrection du Christ. Ainsi, ce n’est pas seulement le Crucifié qui est contemplé et célébré mais bien le Crucifié-Ressuscité. D’autre part, ces oraisons ne se limitent pas à une dimension verticale mais invitent chaque fidèle à imiter le Christ dans leur vie jusque dans sa passion, à se mettre au service des autres, ce qui aura valeur de témoignage aux yeux de leurs contemporains. A cette dimension personnelle se rajoute également une dimension ecclésiale, l’Eglise continuant à faire mémoire et à vivre du sacrifice rédempteur. Ces prières ouvrent enfin les fidèles à l’eschatologie, qui consiste, après notre pèlerinage terrestre, à entrer un jour dans le Royaume éternel et à avoir part à la résurrection du Christ. Toutes ces pièces euchologiques honorent ainsi de manière harmonieuse et pédagogique à la fois la mort et la résurrection du Seigneur, même si l’accent mis sur l’un et l’autre de ces deux aspects peut sensiblement différer d’une prière à l’autre, sans oublier la dimension eschatologique.

 

Cette brève étude nous pousse à conclure la fête des Rameaux et de la Passion du Seigneur célèbrent de manière indivisible plusieurs facettes du mystère pascal que sont la mort, la résurrection et la gloire du Seigneur. Ce dimanche, qui ouvre la Semaine Sainte, anticipe et annonce ainsi tout ce qui sera déployé dans le Triduum pascal, un peu à la manière d’une bande-annonce cinématographique. 

 

P. Stéphane CAILLIAUX

Article paru dans la revue Préludes

 

Hosanna : ce terme, que nous connaissons encore comme tel aujourd’hui dans notre liturgie dans le chant du sanctus, signifie « De grâce, sauve ». Exprimant à l’origine un cri de supplication adressé au roi par le pauvre pour qu’il sauve, devenu ultérieurement une supplication adressée à Dieu pour qu’il sauve, exauce et donne la pluie, ce mot a évolué ensuite en acclamation dans le contexte même de la fête de Sukkôt, jour où l’assemblée agitait au cours de la procession autour de l’autel, selon la tradition décrite dans le Lévitique, le lulab. A ces évolutions mentionnées s’en est ajoutée une autre qu’est la signification messianique, le cri du hosanna en arrivant à désigner celui qui devait venir au nom du Seigneur. La liturgie chrétienne le fera sien en le revêtant en même temps d’une dimension eschatologique.

 


[1] Commission Internationale Francophone pour les Traductions et la Liturgie, Cérémonial des évêques, Paris, Desclée-Mame, 1998, p. 89.

[2] A ces rites d’ouverture doit être rajoutée la collecte, intégrée plus loin dans les pièces euchologiques.

[3] J. Gaillard, La liturgie pascale. Semaine sainte et Pâques, Paris, Cerf, 1988, p. 85.