Priez le maître de la moisson - Père Stéphane Cailliaux

 Lorsque que nous abordons la question de la prière pour les vocations, les réactions se révèlent bien divergentes. Les uns trouvent cela tout naturel et intègrent de manière régulière cette intention dans leur prière personnelle. D’autres trouvent cet appel démodé et d’une époque révolue. D’autres encore demeurent sceptiques à travers des remarques telles que : « Depuis le temps qu’on prie, on n’a pas vu grand monde arriver au séminaire ! » D’autres enfin disent être indifférents à cette question et n’y portent aucun intérêt.

Face à ces réactions pour le moins contradictoires, nous sommes cependant confrontés dans le quotidien de notre ministère à des demandes comme celles-ci : « Je souhaiterais parler à un prêtre. » ou encore « Pour l’enterrement de mon mari, on veut absolument un prêtre ! ». D’un côté donc la prière pour les vocations ne semble pas faire recette, alors que de l’autre, on veut des prêtres dans un contexte où pourtant est mis régulièrement en avant la crise des vocations. Ne sommes-nous pas là en plein paradoxe ?

Alors cet appel de Jésus, il y a plus de deux mille ans, de prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson, demeure plus que jamais d’actualité. Mais se limite-t-il à la prière uniquement ? Ne comporterait-il pas d’autres facettes imperceptibles au premier abord ? Au fond, quel sens peut-il avoir pour nous aujourd’hui ?

 

I.         La pastorale de l’invocation

 

  1. Le constat d’une pénurie

Pour mieux comprendre le verset biblique que nous étudions et que nous trouvons à la fois chez Matthieu (Mt 9, 38) et chez Luc (10, 2), il est utile de le resituer dans le contexte. Les deux évangélistes nous dévoilent peu à peu, depuis son baptême, le ministère de Jésus. Celui-ci a ainsi parcouru bon nombre de villes et de villages, a enseigné, a proclamé la Bonne Nouvelle du Royaume, a guéri des malades. Puis à un moment, Jésus fait le constant que la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux. Chez Matthieu, ce constat apparaît alors que Jésus prend compassion de toute cette foule fatiguée qui le suit et qui ressemble à des brebis sans berger, les douze n’ayant pas encore reçu leur mission. Toutefois, chez Luc, les douze ont déjà reçu leur mission et ce constat de Jésus intervient alors qu’il vient de désigner soixante-douze disciples et de les envoyer deux par deux.

 

Ce qui nous importe ici, c’est précisément cet état de manque dont Jésus fait part : dans un cas parce que les brebis sont sans berger, dans l’autre alors même qu’il vient d’envoyer soixante-douze disciples. En effet, à travers ce constat de Jésus, nous percevons combien la pénurie n’est pas l’apogée de notre époque mais qu’elle a été une constante au long des siècles. Ce manque d’ouvriers durera aussi longtemps que la mission de l’Eglise. L’Eglise n’a donc pas à s’étonner ni à désespérer devant la pénurie car la disproportion entre l’immensité du travail et le petit nombre d’hommes disponibles dure depuis le temps de Jésus et durera jusqu’à sa venue dans la gloire. Cela doit nous inviter alors à deux attitudes : d’abord l’émerveillement et l’action de grâce pour tous les ouvriers de l’Evangile depuis plus de 2000 ans ; ensuite la relativisation du manque réel que nous connaissons aujourd’hui, car cette situation est déjà celle décrite dans l’Evangile et valant pour toutes les époques de l’humanité : la moisson sera toujours plus abondante que les ouvriers. Alors demeurons confiants : le Seigneur ne cesse jamais d’appeler et de pourvoir son Eglise ! N’oublions jamais cette promesse de Dieu faite aux hommes : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur. » (Jr 3, 15)

 

  1. Face à la pénurie, la prière

Après avoir constaté que la moisson est abondante et les ouvriers peu nombreux, Jésus s’empresse de poursuivre par : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. » La prière apparaît ainsi comme la solution à ce manque (cf. le  donc dans les propos de Jésus). Il semble dès lors important de nous interroger à présent sur cette prière et plus particulièrement sur le pourquoi. Pourquoi, en effet, prier pour les vocations ? Mais avant d’approfondir ce thème, je me permets cette petite parenthèse. Soyons vigilants avec l’expression « prier pour les vocations » car elle est très ambiguë. Le mot vocation renvoyant au latin vocare signifiant lui-même appeler, notre expression devient alors prier pour les appels. Cela soulignerait dès lors que le Seigneur arrêterait d’appeler à sa vigne. Ce qui est totalement faux ! Le Seigneur appelle en permanence, à chaque instant ou à chaque heure du jour pour reprendre l’expression de la parabole du vigneron qui appelle à travailler à sa vigne. Par conséquent, les vocations ne manquent pas puisque c’est le Seigneur qui appelle. La crise ne vient pas du côté de l’appel mais de la réponse. Aussi faut-il comprendre l’invitation du Seigneur de cette manière : « Priez le maître de sa moisson pour que des ouvriers répondent à son appel ». Parenthèse fermée. Revenons au pourquoi de cette prière.

 

a)      Pour répondre à la demande de Jésus

 

La première raison à ce pourquoi est la réponse à la demande que Jésus nous fait de prier. Oui, c’est un appel qu’il nous lance, la seule directive qu’il nous laisse, la seule solution qu’il nous propose face aux manques d’ouvriers pour la moisson. Car c’est Dieu qui prépare, appelle et envoie mais il ne peut envoyer que ceux et celles qui auront répondu. En ouvrant l’Evangile, nous constatons que cette prière n’est pas matière à option. Elle a son fondement dans l’appel même que nous fait Jésus.

 

b)      Pour rejoindre le cœur du Christ

 

La deuxième raison est de rejoindre le cœur du Christ pour nous faire entrer dans les soucis du maître de la moisson. Prier, c’est entrer dans le regard de Jésus qui, voyant les foules, a pitié d’elles parce qu’elles sont fatiguées et abattues comme des brebis sans bergers. Qui, plus que lui, porte, de manière constante, ce souci qui consiste à ce que des ouvriers répondent généreusement et fidèlement à son appel ? Cette question, il la porte de manière toute spéciale dans la prière. Ainsi, avant de choisir les douze apôtres, Jésus se retire dans la montagne et passe la nuit à prier (cf. Lc 6, 12-13). Dès lors, il nous montre la route à suivre en ce domaine : porter ce souci des ouvriers envoyés à la moisson non pas en élaborant d’abord telle ou telle campagne d’appel mais en priant.

 

c)      Pour manifester notre manque et aviver notre désir

 

La troisième raison est la manifestation de notre manque au Seigneur. Certes, Dieu qui scrute les cœurs et les reins sait mieux que nous ce dont nous avons besoin. Il connaît nos demandes avant même que nous les formulions. Alors, à quoi bon les lui dire ? Cette objection n’est pas nouvelle. Saint Augustin l’a lui-même rencontrée. Il y répond dans sa lettre à Proba, grande dame romaine, sur la prière en écrivant : « Dieu sait ce qui nous est nécessaire avant que nous lui demandions. Alors, pourquoi nous exhorte-t-il à la prière continuelle ? Cela pourrait nous étonner, mais nous devons comprendre que Dieu notre Seigneur ne veut pas être informé de notre désir, qu’il ne peut ignorer. Mais il veut que notre désir s’excite par la prière, afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. » De cette réponse d’Augustin, nous devons retenir que Dieu souhaite que nous nous investissions dans notre demande et que nous accueillons véritablement comme un don ce qu’il veut nous envoyer. Sans oublier la question du désir. Avons-nous vraiment le désir d’avoir des prêtres, des religieux, religieuses, consacrées ? Si tel n’est pas le cas, la prière au maître de la moisson ne sert à rien. Alors avant de prier pour demander des prêtres, l’urgence est ici de prier pour en désirer.

 

d)      Pour exprimer notre attente confiante

 

La quatrième raison est l’expression de notre attente emprunte de confiance et d’espérance. Notre prière se doit, en effet, d’être non pas résignée mais confiante. Certains de la victoire de Jésus, il nous faut prier avec patience et persévérance, dans la joie de rejoindre le dessein séculaire et universel du salut. Prier quotidiennement avec insistance et foi le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson ne lasse pas le Seigneur. C’est plutôt l’inverse qui nous guette, à savoir arrêter cette prière en imaginant que Dieu n’entend pas, n’écoute pas. La volonté de Dieu est que nous demandions des ouvriers pour la moisson. Et Dieu, aujourd’hui encore, met sa joie à répondre, mais toujours à l’heure que lui a choisie. Alors, n’ayons pas peur de garder nos lampes allumées ! Veillons et attendons patiemment dans la confiance ! Et cette attente passe inévitablement par la prière. Tel est ce qu’écrivait Jean-Paul II, dans Pastores dabo vobis (n°38) : « Aujourd’hui, l’attente de nouvelles vocations dans la prière doit devenir toujours plus une habitude constante et largement partagée par la communauté chrétienne tout entière, et par toute réalité ecclésiale. C’est ainsi que l’on pourra revivre l’expérience des Apôtres qui, au Cénacle, unis à Marie, attendent en prière l’effusion de l’Esprit (cf. Ac 1, 14), qui ne manquera pas de susciter encore dans le peuple de Dieu "les prêtres dont le monde a besoin, pour le service de la prière et de l’Eucharistie, et pour annoncer l’Evangile du Christ". »

 

  1. Le contenu de cette prière

Après nous être interrogés sur le pourquoi de la prière pour les vocations, arrêtons-nous à présent sur son contenu.

 

a)      Prière pour demander des moissonneurs

 

Le propos de Jésus est on ne peut plus clair. Il nous invite à prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Il nous fait donc demander, ni des semeurs, ni des laboureurs mais des moissonneurs. Car Dieu se charge lui-même des labours dans le cœur des hommes. C’est aussi lui qui pourvoit aux semailles et qui fait croître la Parole dans nos vies. L’Esprit ne cesse de travailler au cœur de ce monde et dans le cœur des hommes. Alors oui, « la moisson est là, mais Dieu veut se servir des hommes, afin qu’elle soit apportée dans le grenier. Dieu a besoin d’hommes. Il a besoin de personnes qui disent : Oui, je suis disposé à devenir ton ouvrier pour la moisson, je suis disposé à apporter mon aide afin que cette moisson qui mûrit dans le cœur des hommes puisse véritablement entrer dans les greniers de l’éternité et devenir communion divine éternelle de joie et d’amour. » (Benoît XVI, Rencontre avec les prêtres et les diacres – Freising, 2006) Alors, là où le Seigneur compte sur nous, c’est pour la moisson. Voilà le cœur de la prière de Jésus. Mais qui sont ces moissonneurs ? C’est ce qu’il nous faudra approfondir un peu plus loin...

 

b)      Prière d’action de grâce et de soutien spirituel

 

La prière à laquelle Jésus nous demande de nous associer est aussi prière d’action de grâce pour tous ceux qui ont répondu d’une manière spécifique et radicale à l’appel du Seigneur, pour tous ceux qui nous sont envoyés comme prêtres, diacres, religieux(ses), mariés et qui sont un don que Dieu fait à son Eglise. Nous sommes conviés à remercier le Seigneur dans la joie pour ce don. Par ailleurs, cette prière est aussi invocation à l’Esprit Saint pour qu’il donne à ceux qui ont consacré leur vie à Dieu, mais aussi aux couples, la grâce de la fidélité à leur engagement, les dons nécessaires pour un ministère ou une conjugalité féconde et les conduise à la sainteté. D’autre part, elle peut se révéler à certains moments supplication et soutien spirituel à l’égard de ceux qui peuvent connaître dans leur vie de consacré ou conjugale une forme de combat spirituel plus ou moins important.

 

c)      Prière pour les vocations à venir

 

Comme nous l’indiquions au début, la moisson sera toujours abondante et les ouvriers peu nombreux. C’est donc à une prière incessante qu’il faut nous livrer, demandant avec persévérance et insistance que des jeunes et des moins jeunes découvrent la joie de servir le Seigneur. N’ayons pas peur d’invoquer l’Esprit Saint pour que l’appel du Christ « Viens et suis-moi » soit entendu par les jeunes, pour que l’Eglise sache les accompagner, pour que notre prière soutienne la faiblesse de ceux qui se sentent appelés et pour qu’ils sentent soutenus dans le combat spirituel à mener pour répondre oui. Rendons grâce tout spécialement pour les « oui » de Clémentine, Mehdi et Amen qui deviendront respectivement vierge consacrée et prêtres dans quelques semaines.

 

 

Jusqu’ici, nous avons pris le temps d’explorer ce beau verset de l’Evangile : « Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson », constatant comme à l’époque de Jésus la pénurie, nous interrogeant sur le pourquoi de la prière demandée par Jésus et détaillant enfin ce que peut être cette prière au maître de la moisson. On pourrait parfaitement conclure ici pensant que nous avons fait le tour de la question et nous disant que notre prière résoudra par elle seule ce manque de moissonneurs. Ne serait-ce pas alors se décharger trop facilement sur le Seigneur et éviter de prendre une part active à la question des vocations ? En effet, comme l’écrit Benoît XVI (même ouvrage que ci-dessus), « prier Dieu ne se réalise pas seulement à travers des prières. Cela implique également une transformation de la parole en action ». Oui, action et contemplation marchent de paire ! Alors que faire concrètement ?

 

II.         La pastorale de la provocation    

 

  1. Le témoignage du disciple

Dans l’évangile de Luc, Jésus, avant de nous inviter à prier le maître de la moisson, envoie soixante-douze disciples. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Rien ne nous est dévoilé sur eux. C’est sans aucun doute une manière pour Luc de nous inviter à nous demander : ne serai-je pas moi-même ouvrier à la moisson ? Nous sommes invités ici à un déplacement. Reconnaissons que notre esprit a bien souvent assimilé les ouvriers mentionnés dans l’Evangile à des prêtres. Et les prêtres étant de moins en moins nombreux, alors on se lamente sur la crise. Mais qui nous dit que ces 72 sont des prêtres ? Personne. Ce n’est là qu’une extrapolation et le fruit de notre imagination débordante.  Plus que jamais, arrêtons de restreindre cette notion d’ouvrier. Au contraire, ouvrons-la largement parce qu’en définitive, ces moissonneurs, c’est chacun de nous. Tous, nous sommes appelés à prendre part à la moisson et donc, tous, nous avons une réponse à donner.

 

Tout chrétien est et doit être un ouvrier dans la moisson du maître. Combien parmi vous se sont déjà interrogés sur cette question ? Mais pour être cet ouvrier, c’est-à-dire celui qui sera envoyé par le maître (autrement dit apôtre) pour moissonner, il est d’abord indispensable d’être disciple. Mais qu’est-ce « être disciple » ? C’est vivre pleinement et fidèlement la grâce de son baptême en se nourrissant régulièrement de la Parole de Dieu, en participant le plus souvent possible à l’eucharistie, en priant chaque jour, en se confessant, en ayant une vie évangélique et eucharistique, c’est-à-dire donnée aux autres... Par ailleurs, être disciple du Christ, c’est se souvenir que, de par notre baptême, nous participons à la triple fonction du Christ : prêtre, prophète et roi et dès lors la mettre en œuvre dans notre vie. La dimension sacerdotale renvoie à la communion avec Dieu, au service de la prière et de l’offrande de sa personne et de sa vie. La dimension prophétique est celle de l’annonce à temps et à contretemps de la Parole de Dieu. Elle s’exerce par le témoignage rendu au Christ et à l’Evangile dans les circonstances de vies ordinaires. Enfin, la mission royale  est la dimension sociale, la participation à la venue du Royaume à travers la gérance des choses temporelles.

 

Etre disciple est indispensable pour être apôtre sinon le risque est de vite s’annoncer et de conduire à soi plutôt que d’annoncer l’Evangile et de mener au Christ. C’est dans la mesure où chaque baptisé déploiera vraiment la grâce de son baptême et sera fidèle à sa vocation baptismale qu’il deviendra alors un témoin pour les autres et qu’il interpellera à la fois par sa foi vivante et par sa vie. Et aujourd’hui, c’est ce que les jeunes attendent : non des maîtres mais des témoins authentiques, dont la foi est enracinée, nourrie, travaillée et vécue au quotidien par des actes et en vérité. Oui de tels témoignages sont sans aucun doute appelants pour les jeunes générations et stimulants pour ceux qui s’interrogent sur la consécration de leur vie à Dieu tout comme ils le sont pour nous aussi.

 

  1. Le témoignage de la communauté chrétienne 

Notre précédent évêque, Mgr Boulanger, aimait souvent rappeler que l’on n’est pas chrétien tout seul. En effet, même si la foi est d’abord une démarche personnelle qu’aucun ne peut faire à ma place, elle comporte aussi une dimension communautaire. Par le baptême, nous devons membres du corps du Christ. Et c’est bien la difficulté que nous rencontrons aujourd’hui avec bon nombre de nos contemporains. Le Christ, oui, l’Eglise, non ! Sans parler du baptême des petits enfants qui restera bien souvent sans lendemain. Sans aucun doute, l’appel retentissant de l’épître aux Hébreux reste d’une actualité flagrante : « Ne désertons pas nos assemblées, comme certains en ont pris l’habitude » (He 10, 25).

 

Il y aurait très certainement à nous interroger sur nos communautés chrétiennes, sur leur chaleur humaine, sur leur vitalité, parfois sur leur contre-témoignage quand naissent rivalités, jalousies, désir de pouvoir, mais l’essentiel repose d’abord sur le fait que ces communautés doivent prendre au sérieux l’aventure évangélique, redécouvrir la joie de suivre le Christ dans une certaine radicalité, ne pas manquer de souffle pour rendre compte de l’espérance qui les habite. Nos communautés sont-elles suffisamment « assidues à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42) ? Si tel est le cas, elles deviendront alors la bonne terre de laquelle pourront éclore des vocations spécifiques. Oui, c’est surtout dans le terreau des communautés chrétiennes vivantes, fraternelles, priantes, accueillantes, passionnées du Christ et de son Evangile, missionnaires que naissent ces vocations.

 

Plus nos communautés avanceront sur ce chemin, plus elles auront l’audace, la force et la conviction d’appeler. Oui, nos communautés ont-elles aussi à être appelantes. C’est ce que soulignait fortement Jean-Paul II dans Pastores dabo vobis, repris en partie dans le message de Benoît XVI pour la 48ème journée mondiale de prière pour les vocations : « La vocation sacerdotale est un don de Dieu, qui constitue certainement un grand bien pour celui qui en est le premier destinataire. Mais c’est aussi un don pour l’Eglise entière, un bien pour sa vie et pour sa mission. L’Eglise, donc, est appelée à garder ce don, à l’estimer, à l’aimer : elle est responsable de la naissance et de la maturation des vocations sacerdotales. En conséquence, la pastorale des vocations a comme sujet actif, comme protagoniste la communauté ecclésiale comme telle, dans ses diverses expressions : de l’Eglise universelle à l’Eglise particulière et, analogiquement, de celle-ci à la paroisse et à tous les membres de peuple de Dieu. Il est plus que jamais urgent, aujourd’hui surtout, que se répande et s’enracine la conviction que ce sont tous les membres de l’Eglise, sans exception aucun, qui ont la grâce et la responsabilité du souci des vocations. Le Concile Vatican II a été aussi explicite que possible en affirmant que le "devoir de favoriser l’augmentation des vocations sacerdotales appartient à toute la communauté chrétienne, qui est tenue de s’acquitter de ce devoir avant tout par une vie pleinement chrétienne. » (Jean-Paul II, Pastores dabo vobis n°41)

 

  1. La sensibilisation

Si le témoignage des baptisés et le témoignage des communautés chrétiennes peuvent avoir valeur d’appel auprès de personnes désireuses de consacrer leur vie au Seigneur, un autre moyen essentiel doit aussi retenir tout particulièrement notre attention : la sensibilisation sur la question des vocations spécifiques. Bien souvent nous exprimons notre désir de vouloir des prêtres et des religieux(ses) car nous sommes inquiets pour l’avenir de l’Eglise, pour celui de nos communautés. Ces peurs sont bien légitimes mais elles doivent nous amener à nous interroger nous-mêmes sur ce que nous avons fait pour avoir des prêtres et des consacré(e)s. Nous sommes-nous suffisamment mobilisés ? Parlons-nous facilement de vocations spécifiques autour de nous, dans nos familles, dans nos paroisses, dans nos groupes de catéchèse et de jeunes ? Pour être très honnête et très direct, je crois que c’est plutôt le silence qui règne souvent en ce domaine. Un silence qui peut sans doute s’expliquer de plusieurs manières (la vocation n’est pas une promotion, peur de l’avenir de l’Eglise) mais un silence qui coûte cher. Allons-nous enfin prendre conscience que les vocations ne sont pas l’affaire de quelques-uns dans l’Eglise mais qu’elles sont l’affaire de tous. D’un côté, nous sommes tous appelés mais nous avons aussi à être tous appelants. Alors, combien de temps va encore persister notre mutisme ? Qu’attendons-nous pour enfin nous exprimer sur cette question ? Garder le silence, comme on le fait à présent, nous fait porter une lourde responsabilité.

 

       4. L'appel en direct

 

Si Dieu compte sur nous pour sensibiliser les jeunes et les adultes sur la question des vocations spécifiques, il compte aussi sur nous pour relayer son appel. Dans l’Evangile, n’est-ce pas l’exemple donné par André ? Jean-Paul II écrit : « C’est lui-même qui se mit à raconter à son frère ce qui lui était arrivé : "Nous avons trouvé le Messie (c’est-à-dire le Christ)" (Jn 1, 41). Et la narration de cette « découverte » ouvre la voie à la rencontre : "Et il le conduisit à Jésus" (Jn 1, 42). Aucun doute sur l’initiative absolument libre et sur la décision souveraine de Jésus : c’est Jésus qui appelle Simon et lui donne un nouveau nom : "Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t’appelleras Céphas (ce qui veut dire Pierre" (Jn 1, 42). Mais André avait eu sa part d’initiative : il avait sollicité la rencontre de son frère à Jésus. » (Jean-Paul II, Pastores dabo vobis n°38) Et nous, avons-nous déjà osé poser de manière directe la question à tel jeune ou à tel adulte ? Certes, il s’agit toujours de le faire avec discernement, tact et délicatesse laissant la personne libre de sa réponse mais l’essentiel est d’oser franchir le pas et de susciter l’appel. A titre personnel, je ne serai sûrement pas en train de vous adresser ces quelques lignes, si trois prêtres ne m’avaient pas posé à quinze jours d’intervalle cette question : « Et toi, n’as-tu jamais pensé à être prêtre ? » Cette question a été comme un déclic réveillant sans aucun doute un appel enfoui au plus profond de moi. Mais une médiation humaine aura été nécessaire pour que j’en prenne réellement conscience. D’autres de mes confrères vous diront avoir vécu la même expérience. Alors, n’hésitez à être auprès des jeunes de votre famille ces antennes-relais du Seigneur ! Nous avons tout à y gagner !

 

Même s’il incombe à tous de sentir concerner par les vocations spécifiques, de prier, de sensibiliser, d’appeler, quelques-uns, reçoivent, au nom de tous, la mission de porter plus particulièrement la responsabilité, d’abord l’évêque du diocèse puis, par délégation, le service diocésain des vocations (SDV). Mais comment ce service met-il en œuvre cet appel de Jésus à prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à la moisson ? Autrement dit quelles sont les missions de ce service ? C’est ce que nous allons explorer à présent.

 

III.    La pastorale de la convocation

 

  1. Prier et faire prier

Sans aucun doute, la première mission du SDV, ou plus exactement des membres qui le composent, est de répondre à la demande de Jésus de prier. Prier de manière régulière pour que des jeunes et des adultes fassent la volonté du Seigneur dans leur vie et répondent avec joie, confiance et fidélité à l’appel du Seigneur. Personnellement, j’aime aussi célébré de temps en temps la messe pour les vocations sacerdotales et religieuses.

 

Mais le rôle du SDV est aussi de faire prier les chrétiens à cette intention. C’est la raison pour laquelle, sur l’initiative de cette instance, pendant près d’un an et demi une Vierge pèlerine va sillonner l’ensemble de notre diocèse (même si pour notre pôle missionnaire, elle est malheureusement, comme nous, confinée pour le moment !). Cette proposition spirituelle, comme l’écrit Mgr Habert, « nous invite à accueillir Marie chez nous. Elle est notre Mère dans la foi. Elle est celle à qui Jésus nous a remis avant de mourir et qui accompagne l'Eglise au long des siècles. En lui ouvrant les portes de nos maisons et de nos cœurs, nous ferons l'expérience d'une visitation: comme autrefois Elisabeth, nous accueillerons la Vierge Marie et elle nous donnera son Fils, nous apprendra à l'écouter, à l'aimer et à le servir dans nos frères et sœurs en humanité. C'est donc une longue chaîne de prière qui va se déployer au fil des mois dans notre diocèse. Nous demanderons au Seigneur par l'intercession de la Vierge Marie toutes les vocations dont notre Eglise diocésaine a besoin pour accomplir sa mission d'évangélisation, et tout spécialement des vocations sacerdotales. »

 

Des initiatives de prière pour les vocations jaillissent ici ou là dans le diocèse. Ainsi certaines paroisses ont instauré de manière régulière des temps d’adoration ou la prière du chapelet à cette intention spécifique.

 

Sans oublier, ce que nous pourrions appeler le monastère invisible, à savoir un monastère virtuel, sans murs, composé d’un réseau de veilleurs en communion, personnes de tout âge, isolées ou non, malades ou bien portantes, communautés religieuses, qui prient de manière régulière et discrète le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.

 

  1. Sensibiliser

Outre la prière, le SDV a pour mission de sensibiliser les baptisés à la question des vocations spécifiques. Il le fait de plusieurs manières.

 

Si les assemblées annuelles du SDV qui abordaient un thème lié aux vocations et permettaient ainsi aux diocésains d’approfondir tel ou tel aspect spécifique n’existaient malheureusement plus, la sensibilisation se poursuit malgré tout ici ou là, à travers un échange, une homélie, un témoignage… Cette sensibilisation continue aussi à se faire auprès des jeunes générations, notamment lors de journées ou de week-ends autour de futurs consacré(e)s ou prêtres mais aussi par la participation des membres de l’équipe aux différents temps forts organisés par la pastorale des jeunes de notre diocèse : pèlerinage à Lourdes, JMJ, Taizé, troupe théâtre…

 

  1. Accompagner

Une autre mission du SDV est d’accompagner les jeunes et les adultes qui se posent clairement la question d’une vocation spécifique, à travers la proposition de week-end spécifiques, à travers l’aide à la recherche d’un accompagnateur spirituel pour discerner et avancer tout simplement dans leur vie de baptisé - toute vocation spécifique s’enracinant dans la vocation baptismale-, à travers des contacts réguliers gardés notamment via les outils modernes de communication sans pour autant mettre la main sur ces personnes car leur liberté est fondamentale.

 

Pour essayer de répondre plus particulièrement à ces questions d’accompagnement et de discernement, un projet diocésain, impulsé par le SDV, verra le jour en septembre prochain à Argentan : l’année Saint Michel, pour des jeunes de 18 à 30 ans qui veulent se mettre au service du Christ et de son Eglise, se former et discerner leurs projets de vie. Cette année Saint Michel reposera sur sept piliers qui se déclinent ainsi : une mission d'évangélisation ; un service du frère ; une vie communautaire ; une vie de prière ; un accompagnement humain et spirituel ; une formation chrétienne ; une découverte de l'Église. Ces sept piliers sont davantage développés sur le site internet dédié à cette initiative. N’hésitez pas à aller le consulter mais mieux encore à relayer ce beau projet autour de vous !

 

Au terme de notre parcours, nous pouvons retenir que l’appel de Jésus à prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson est loin d’être ringard si nous prenons vraiment le temps d’en comprendre toute la profondeur. Une telle invitation du Christ comporte de multiples facettes qui peuvent être résumées en trois mots : invocation, provocation et convocation[1]. Voilà trois axes pastoraux à mettre en œuvre sans modération. Si le SDV a pour charge d’honorer toutes ces missions spécifiques, il n’en demeure pas moins que c’est à chacun de s’impliquer avec les talents qui sont les siens dans l’une ou l’autre, voire dans toutes ces composantes. Faut-il le rappeler : les vocations ne sont pas l’affaire de quelques-uns mais de tous. Il est ainsi essentiel que chacun de nous ait vraiment à cœur de porter d’une manière ou d’une autre ce souci des vocations, en n’oubliant pas toutefois de vivre d’abord celle qui nous est commune à tous : notre vocation baptismale, en devenant chaque jour davantage des disciples-missionnaires. Y’a plus qu’à ! Faut qu’on ! comme diraient certains… Alors yallah !



[1] Ces trois termes sont empruntés au Père Alain Bandelier dans sa collection Une foi, mille questions portant sur la prière et la vie spirituelle (p. 127-128)